Charles Baudelaire

JOURNAUX INTIMES
FUSEES - MON COEUR MIS A NU



FUSEES
(Premiere partie des journaux intimes)

Table des matieres

I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV


I

Quand meme Dieu n'existerait pas, la Religion serait encore Sainte
et _Divine_.

Dieu est le seul etre qui, pour regner, n'ait meme pas besoin
d'exister.

Ce qui est cree par l'esprit est plus vivant que la matiere.

L'amour, c'est le gout de la prostitution. Il n'est meme pas de
plaisir noble qui ne puisse etre ramene a la Prostitution.

Dans un spectacle, dans un bal, chacun jouit de tous.

Qu'est-ce que l'art? Prostitution.

Le plaisir d'etre dans les foules est une expression mysterieuse
de la jouissance de la multiplication du nombre.

_Tout_ est nombre. Le nombre est dans _tout_. Le nombre est dans
l'individu. L'ivresse est un nombre.

Le gout de la concentration productive doit remplacer, chez un
homme mur, le gout de la deperdition. -

L'amour peut deriver d'un sentiment genereux: le gout de la
prostitution; mais il est bientot corrompu par le gout de la
propriete.
L'amour veut sortir de soi, se confondre avec sa victime, comme le
vainqueur avec le vaincu, et cependant conserver des privileges de
conquerant.

Les voluptes de l'entrepreneur tiennent a la fois de l'ange et du
proprietaire. Charite et ferocite. Elles sont meme independantes
du sexe, de la beaute et du genre animal.

Les tenebres vertes dans les soirs humides de la belle saison.

Profondeur immense de la pensee dans les locutions vulgaires,
trous creuses par des generations de fourmis.

Anecdote du chasseur, relative a la liaison intime de la ferocite
et de l'amour.


II

De la femineite de l'Eglise, comme raison de son omnipuissance.
De la couleur violette (amour contenu, mysterieux, voile, couleur
de chanoinesse).

Le pretre est immense parce qu'il fait croire a une foule de
choses etonnantes.
Que l'Eglise veuille tout faire et tout etre, c'est une loi de
l'esprit humain.
Les peuples adorent l'autorite.
Les pretres sont les serviteurs et les sectaires de l'imagination.
Le trone et l'autel, maxime revolutionnaire.

E. G. ou la SEDUISANTE AVENTURIERE

Ivresse religieuse des grandes villes. -- Pantheisme. Moi, c'est
tous; Tous, c'est moi.
Tourbillon.


III

Je crois que j'ai deja ecrit dans mes notes que l'amour
ressemblait fort a une torture ou a une operation chirurgicale.
Mais cette idee peut etre developpee de la maniere la plus amere.
Quand meme les deux amants seraient tres epris et tres pleins de
desirs reciproques, l'un des deux sera toujours plus calme ou
moins possede que l'autre. Celui-la, ou celle-la, c'est
l'operateur, ou le bourreau; l'autre, c'est le sujet, la victime.
Entendez-vous ces soupirs, preludes d'une tragedie de deshonneur,
ces gemissements, ces cris, ces rales? Qui ne les a proferes, qui
ne les a irresistiblement extorques? Et que trouvez-vous de pire
dans la question appliquee par de soigneux tortionnaires? Ces yeux
de somnambule revulses, ces membres dont les muscles jaillissent
et se roidissent comme sous l'action d'une pile galvanique,
l'ivresse, le delire, l'opium, dans leurs plus furieux resultats,
ne vous en donneront certes pas d'aussi affreux, d'aussi curieux
exemples. Et le visage humain, qu'Ovide croyait faconne pour
refleter les astres, le voila qui ne parle plus qu'une expression
d'une ferocite folle, ou qui se detend dans une espece de mort.
Car, certes, je croirais faire un sacrilege en appliquant le mot:
extase a cette sorte de decomposition.

-- Epouvantable jeu ou il faut que l'un des joueurs perde le
gouvernement de soi-meme!
Une fois il fut demande devant moi en quoi consistait le plus
grand plaisir de l'amour. Quelqu'un repondit naturellement: a
recevoir, -- et un autre: a se donner.
-- Celui-ci dit: plaisir d'orgueil! -- et celui-la: volupte
d'humilite! Tous ces orduriers parlaient comme l'_Imitation de
Jesus-Christ_. -- Enfin il se trouva un impudent utopiste qui
affirma que le plus grand plaisir de l'amour etait de former des
citoyens pour la patrie.

Moi je dis: la volupte unique et supreme de l'amour git dans la
certitude de faire le _mal_. -- Et l'homme et la femme savent de
naissance que dans le mal se trouve toute volupte.


IV

PLANS. PROJETS
-- La Comedie a la Silvestre.
Barbara et le Mouton.
-- Chenavard a cree un type surhumain.
-- Mon voeu a Levaillant.
-- Preface, melange de mysticite et d'engouement.
Reve et theorie du Reve a la Swedenborg.

La pensee de Campbell (_the Conduct of Life_).
Concentration.
Puissance de l'idee fixe.
-- La franchise absolue, moyen d'originalite.
-- Raconter pompeusement des choses comiques.

FUSEES. SUGGESTIONS
Quand un homme se met au lit, presque tous ses amis ont le desir
secret de le voir mourir; les uns pour constater qu'il avait une
sante inferieure a la leur; les autres dans l'espoir desinteresse
d'etudier une agonie.

Le dessin arabesque est le plus spiritualiste des dessins.


V

SUGGESTIONS
L'homme de lettres remue des capitaux et donne le gout de la
gymnastique intellectuelle.

Le dessin arabesque est le plus ideal de tous.

Nous aimons les femmes a proportion qu'elles nous sont plus
etrangeres. Aimer les femmes intelligentes est un plaisir de
pederaste. Ainsi la bestialite exclut la pederastie.

L'esprit de bouffonnerie peut ne pas exclure la charite, mais
c'est rare.

L'enthousiasme qui s'applique a autre chose que les abstractions
est un signe de faiblesse et de maladie.

La maigreur est plus nue, plus indecente que la graisse.


VI

--_ Ciel tragique_. Epithete d'on ordre abstrait applique a un
etre materiel.

-- L'homme boit la lumiere avec l'atmosphere. Ainsi le peuple a
raison de dire que l'air de la nuit est malsain pour le travail.

-- Le peuple est adorateur-ne du feu.
Feux d'artifice, incendies, incendiaires.
Si l'on suppose un adorateur-ne du feu, un _Parsis-ne_, on peut
creer une nouvelle.

Les meprises relatives aux visages sont le resultat de l'eclipse
de l'image reelle par l'hallucination qui en tire sa naissance.

Connais donc les jouissances d'une vie apre; et prie, prie sans
cesse. La priere est reservoir de force. (_Autel de la volonte.
Dynamique morale. La sorcellerie des sacrements. Hygiene de
l'ame_).

La Musique creuse le ciel.

Jean-Jacques disait qu'il n'entrait dans un cafe qu'avec une
certaine emotion. Pour une nature timide, un controle de theatre
ressemble quelque peu au tribunal des Enfers.

La vie n'a qu'un charme vrai; c'est le charme du _Jeu_. Mais s'il
nous est indifferent de gagner ou de perdre?


VII

SUGGESTIONS
Les nations n'ont de grands hommes que malgre elles, -- comme les
familles. Elles font tous leurs efforts pour n'en avoir pas. Et
ainsi, le grand homme a besoin, pour exister, de posseder une
force d'attaque plus grande que la force de resistance developpee
par des millions d'individus.

A propos du sommeil, aventure sinistre de tous les soirs, on peut
dire que les hommes s'endorment journellement avec une audace qui
serait inintelligible, si nous ne savions pas qu'elle est le
resultat de l'ignorance du danger.

Il y a des peaux carapaces avec lesquelles le mepris n'est plus
une vengeance.

Beaucoup d'amis, beaucoup de gants. Ceux qui m'ont aime etaient
des gens meprises, je dirais meme meprisables, si je tenais a
flatter les honnetes gens.

Girardin parler latin! _Pecudesque locutae_.

Il appartenait a une Societe incredule d'envoyer Robert Houdin
chez les Arabes pour les detourner des miracles.


VIII

Ces beaux et grands navires, imperceptiblement balances (dandines)
sur les eaux tranquilles, ces robustes navires, a l'air desoeuvre
et nostalgique, ne nous disent-ils pas dans une langue muette:
Quand partons-nous pour le bonheur?

Ne pas oublier dans le drame le cote merveilleux, la sorcellerie
et le romanesque.

Les milieux, les atmospheres, dont tout un recit doit etre trempe.
(Voir _Usher _et en referer aux sensations profondes du hachisch
et de l'opium).

Y a-t-il des folies mathematiques et des fous qui pensent que deux
et deux fassent trois? En d'autres termes, -- l'hallucination
peut-elle, si ces mots ne hurlent pas, envahir les choses de pur
raisonnement? Si, quand un homme prend l'habitude de la paresse,
de la reverie, de la faineantise, au point de renvoyer sans cesse
au lendemain la chose importante, un autre homme le reveillait un
matin a grands coups de fouet et le fouettait sans pitie jusqu'a
ce que, ne pouvant travailler par plaisir, celui-ci travaillat par
peur, cet homme, -- le fouetteur, -- ne serait-il pas vraiment son
ami, son bienfaiteur? D'ailleurs on peut affirmer que le plaisir
viendrait apres, a bien plus juste titre qu'on ne dit: l'amour
vient apres le mariage.
De meme en politique, le vrai saint est celui qui fouette et tue
le peuple pour le bien du peuple.

Mardi 13 mai 1856.

Prendre des exemplaires a Michel.
Ecrire a Mann,
a [Willis]
a _Maria Clemm_.

Envoyer chez Mad. Dumay savoir si Mires.....

Ce qui n'est pas legerement difforme a l'air insensible: -- d'ou
il suit que l'irregularite, c'est-a-dire l'inattendu, la surprise,
l'etonnement sont une partie essentielle et la caracteristique de
la beaute.


IX

NOTES
Theodore de Banville n'est pas precisement materialiste; il est
lumineux.
Sa poesie represente les heures heureuses.

A chaque lettre de creancier, ecrivez cinquante lignes sur un
sujet extra-terrestre et vous serez sauve.

Grand sourire dans un beau visage de geant.

_Du suicide et de la folie-suicide consideres dans leurs rapports
avec la statistique, la medecine et la philosophie._

BRIERE DE BOISMONT
Chercher le passage: Vivre avec un etre qui n'a pour vous que de
l'aversion...
Le portrait de _Serene_ par _Seneque_, celui de _Stagyre_ par
_saint Jean Chrysostome_.
L'_acedia_, maladie des moines.
Le _Taedium vitae_.

Traduction et paraphrase de: La Passion rapporte tout a elle.
Jouissances spirituelles et physiques causees par l'orage,
l'electricite et la foudre, tocsin des souvenirs amoureux,
tenebreux, des anciennes annees.


X

J'ai trouve la definition du Beau, -- de mon Beau. C'est quelque
chose d'ardent et de triste, quelque chose d'un peu vague,
laissant carriere a la conjecture. Je vais, si l'on veut,
appliquer mes idees a un objet sensible, a l'objet, par exemple,
le plus interessant dans la societe, a un visage de femme. Une
tete seduisante et belle, une tete de femme, veux-je dire, c'est
une tete qui fait rever a la fois, -- mais d'une maniere confuse,
-- de volupte et de tristesse; qui comporte une idee de
melancolie, de lassitude, meme de satiete, -- soit une idee
contraire, c'est-a-dire une ardeur, un desir de vivre, associe
avec une amertume refluante, comme venant de privation ou de
desesperance. Le mystere, le regret, sont aussi des caracteres du
Beau.
Une belle tete d'homme n'a pas besoin de comporter, excepte peut-
etre aux yeux d'une femme, -- cette idee de volupte, qui dans un
visage de femme est une provocation d'autant plus attirante que le
visage est generalement plus melancolique. Mais cette tete
contiendra aussi quelque chose d'ardent et de triste, -- des
besoins spirituels, des ambitions tenebreusement refoulees, --
l'idee d'une puissance grondante, et sans emploi, -- quelquefois
l'idee d'une insensibilite vengeresse, (car le type ideal du Dandy
n'est pas a negliger dans ce sujet), -- quelquefois aussi, -- et
c 'est l'un des caracteres de beaute les plus interessants, -- le
mystere, et enfin (pour que j'aie le courage d'avouer a quel point
je me sens moderne en esthetique), _le Malheur_. -- Je ne pretends
pas que la Joie ne puisse pas s'associer avec la Beaute, mais je
dis que la Joie [en] est un des ornements les plus vulgaires; --
tandis que la Melancolie en est pour ainsi dire l'illustre
compagne, a ce point que je ne concois guere (mon cerveau serait-
il un miroir ensorcele?) un type de Beaute ou il n'y ait pas du
_Malheur_. -- Appuye sur, -- d'autres diraient: obsede par -- ces
idees, on concoit qu'il me serait difficile de ne pas conclure que
le plus parfait type de Beaute virile est _Satan_, -- a la maniere
de Milton.


XI

AUTO-IDOLATRIE.
Harmonie politique du caractere.
Eurythmie du caractere et des facultes.
Augmenter toutes les facultes.
Conserver toutes les facultes.
Un culte (magisme, sorcellerie evocatoire).
Le sacrifice et le voeu sont les formules supremes et les symboles
de l'echange.

Deux qualites litteraires fondamentales: surnaturalisme et ironie.
Coup d'oeil individuel, aspect dans lequel se tiennent les choses
devant l'ecrivain, puis tournure d'esprit satanique. Le surnaturel
comprend la couleur generale et l'accent, c'est-a-dire intensite,
sonorite, limpidite, vibrativite, profondeur et retentissement
dans l'espace et dans le temps.
Il y a des moments de l'existence ou le temps et l'etendue sont
plus profonds, et le sentiment de l'existence immensement
augmente.
De la magie appliquee a l'evocation des grands morts, au
retablissement et au perfectionnement de la sante.
L'inspiration vient toujours quand l'homme le _veut_, mais elle ne
s'en va pas toujours quand il le veut.
De la langue et de l'ecriture, prises comme operations magiques,
sorcellerie evocatoire.

_De l'air dans la femme._

Les airs charmants et qui font la beaute sont:

L'air blase,
L'air ennuye
L'air evapore,
L'air impudent,
L'air de regarder en dedans,
L'air de domination,
L'air de volonte,
L'air mechant,
L'air chat, enfantillage, nonchalance et malice meles.

Dans certains etats de l'ame presque surnaturels, la profondeur de
la vie se revele toute entiere dans le spectacle, si ordinaire
qu'il soit, qu'on a sous les yeux. Il en devient le symbole.

Comme je traversais le boulevard, et comme je mettais un peu de
precipitation a eviter les voitures, mon aureole s'est detachee et
est tombee dans la boue du macadam. J'eus heureusement le temps de
la ramasser; mais cette idee malheureuse se glissa un instant
apres dans mon esprit, que c'etait un mauvais presage; et des lors
l'idee n'a plus voulu me lacher; elle ne m'a laisse aucun repos de
toute la journee.

Du culte de soi-meme dans l'amour, au point de vue de la sante, de
l'hygiene, de la toilette, de la noblesse spirituelle et de
l'eloquence.

_Self-purification and anti-humanity._

Il y a dans l'acte de l'amour une grande ressemblance avec la
torture, ou avec une operation chirurgicale.

Il y a dans la priere une operation magique. La priere est une des
grandes forces de la dynamique intellectuelle. Il y a la comme une
recurrence electrique.
Le chapelet est un medium, un vehicule; c'est la priere mise a la
portee de tous.

Le travail, force progressive et accumulative, portant interets
comme le capital, dans les facultes comme dans les resultats.
Le jeu, meme dirige par la science, force intermittente, sera
vaincu, si fructueux qu'il soit, par le travail, si petit qu'il
soit, mais continu.

Si un poete demandait a l'Etat le droit d'avoir quelques bourgeois
dans son ecurie, on serait fort etonne, tandis que si un bourgeois
demandait du poete roti, on le trouverait tout naturel.

Ce livre ne pourra pas scandaliser mes femmes, mes filles, ni mes
soeurs.

Tantot il lui demandait la permission de lui baiser la jambe, et
il profitait de la circonstance pour baiser cette belle jambe dans
telle position qu'elle dessinat son contour sur le soleil
couchant.

Minette, minoutte, minouille, mon chat, mon loup, mon petit singe,
grand singe, grand serpent, mon petit ane melancolique.
De pareils caprices de langue, trop repetes, de trop frequentes
appellations bestiales temoignent d'un cote satanique dans
l'amour; les satans n'ont-ils pas des formes de betes? Le chameau
de Cazotte, -- chameau, Diable et femme.
Un homme va au tir au pistolet, accompagne de sa femme. -- Il
ajuste une poupee, et dit a sa femme: Je me figure que c'est toi.
-- Il ferme les yeux et abat la poupee. -- Puis il dit en baisant
la main de sa compagne: Cher ange, que je te remercie de mon
adresse!
Quand j'aurai inspire le degout et l'horreur universels, j'aurai
conquis la solitude.
Ce livre n'est pas fait pour mes femmes, mes filles et mes soeurs.
-- J'ai peu de ces choses.
Il y a des peaux carapaces avec lesquelles le mepris n'est plus un
plaisir.
Beaucoup d'amis, beaucoup de gants, -- de peur de la gale.
Ceux qui m'ont aime etaient des gens meprises, je dirais meme
meprisables, si je tenais a flatter les _honnetes gens_.
Dieu est un scandale, -- un scandale qui rapporte.


XII

Ne meprisez la sensibilite de personne. La sensibilite de chacun,
c'est son genie.
Il n'y a que deux endroits ou l'on paye pour avoir le droit de
depenser, les latrines publiques et les femmes.
Par un concubinage ardent, on peut deviner les jouissances d'un
jeune menage.
Le gout precoce des femmes. Je confondais l'odeur de la fourrure
avec l'odeur de la femme. Je me souviens... Enfin, j'aimais ma
mere pour son elegance. J'etais donc un dandy precoce.
Mes ancetres, idiots ou maniaques, dans des appartements
solennels, tous victimes de terribles passions.
Les pays protestants manquent de deux elements indispensables au
bonheur d'un homme bien eleve, la galanterie et la devotion.
Le melange du grotesque et du tragique est agreable a l'esprit
comme la discordance aux oreilles blasees.
Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais gout, c'est le plaisir
aristocratique de deplaire.
L'Allemagne exprime la reverie par la ligne, comme l'Angleterre
par la perspective.
Il y a dans l'engendrement de toute pensee sublime une secousse
nerveuse qui se fait sentir dans le cervelet.
L'Espagne met dans la religion la ferocite naturelle de l'amour.

STYLE.
La note eternelle, le style eternel et cosmopolite. Chateaubriand,
Alph. Rabbe, Edgar Poe.


XIII

SUGGESTIONS
Pourquoi les democrates n'aiment pas les chats, il est facile de
le deviner. Le chat est beau; il revele des idees de luxe, de
proprete, de volupte, etc...

Un peu de travail, repete trois cent soixante-cinq fois, donne
trois cent soixante-cinq fois un peu d'argent, c'est-a-dire une
somme enorme. En meme temps, _la gloire est faite_.

De meme, une foule de petites jouissances composent le bonheur.

Creer un poncif, c'est le genie.
Je dois creer un poncif.

Le concetto est un chef-d'oeuvre.

Le ton Alphonse Rabbe.
Le ton fille entretenue (_Ma toute-belle! Sexe volage!_).
Le ton _eternel_.
Coloriage, cru, dessin profondement entaille.
_La prima Donna et le garcon boucher_.

Ma mere est fantastique; il faut la craindre et lui plaire.

L'orgueilleux Hildebrand.
Cesarisme de Napoleon III. (Lettre a Edgar Ney). Pape et Empereur.


XIV

SUGGESTIONS.
Se livrer a Satan, qu'est-ce que c'est?

Quoi de plus absurde que le Progres, puisque l'homme, comme cela
est prouve par le fait journalier, est toujours semblable et egal
a l'homme, c'est-a-dire toujours a l'etat sauvage. Qu'est-ce que
les perils de la foret et de la prairie aupres des chocs et des
conflits quotidiens de la civilisation? Que l'homme enlace sa dupe
sur le Boulevard, ou perce sa proie dans des forets inconnues,
n'est-il pas l'homme eternel, c'est-a-dire l'animal de proie le
plus parfait?
-- On dit que j'ai trente ans; mais si j'ai vecu trois minutes en
une... n'ai-je pas quatre-vingt-dix ans?
... Le travail, n'est-ce pas le sel qui conserve les ames momies?
Debut d'un roman, commencer un sujet n'importe ou et, pour avoir
envie de le finir, debuter par de tres belles phrases.


XV

Je crois que le charme infini et mysterieux qui git dans la
contemplation d'un navire en mouvement, tient, dans le premier
cas, a la regularite et a la symetrie qui sont un des besoins
primordiaux de l'esprit humain, au meme degre que la complication
et l'harmonie, -- et, dans le second cas, a la multiplication et a
la generation de toutes les courbes et figures imaginaires operees
dans l'espace par les elements reels de l'objet.
L'idee poetique qui se degage de cette operation du mouvement dans
les lignes est l'hypothese d'un etre vaste, immense, complique,
mais eurythmique, d'un animal plein de genie, souffrant et
soupirant tous les soupirs et toutes les ambitions humaines.

Peuples civilises, qui parlez toujours sottement de _sauvages_ et
de _barbares_, bientot, comme le dit d'Aurevilly, vous ne vaudrez
meme plus assez pour etre idolatres.

Le stoicisme, religion qui n'a qu'un sacrement, -- le suicide!

Concevoir un canevas pour une bouffonnerie lyrique ou feerique,
pour une pantomime, et traduire cela en un roman serieux. Noyer le
tout dans une atmosphere anormale et songeuse, -- dans
l'atmosphere des _grands jours_. -- Que ce soit quelque chose de
bercant, -- et meme de serein dans la passion. -- Regions de la
Poesie pure.

Emu au contact de ces voluptes qui ressemblaient a des souvenirs,
attendri par la pensee d'un passe mal rempli, de tant de fautes,
de tant de querelles, de tant de choses a se cacher
reciproquement, il se mit a pleurer; et ses larmes chaudes
coulerent dans les tenebres sur l'epaule nue de sa chere et
toujours attirante maitresse. Elle tressaillit; elle se sentit,
elle aussi, attendrie et remuee. Les tenebres rassuraient sa
vanite et son dandysme de femme froide. Ces deux etres dechus,
mais souffrant encore de leur reste de noblesse, s'enlacerent
spontanement, confondant dans la pluie de leurs larmes et de leurs
baisers les tristesses de leur passe avec leurs esperances bien
incertaines d'avenir. Il est presumable que jamais pour eux la
volupte ne fut si douce que dans cette nuit de melancolie et de
charite; -- volupte saturee de douleur et de remords.
A travers la noirceur de la nuit, il avait regarde derriere lui
dans les annees profondes, puis il s'etait jete dans les bras de
sa coupable amie pour y retrouver le pardon qu'il lui accordait.
-- Hugo pense souvent a Promethee. Il s'applique un vautour
imaginaire sur une poitrine qui n'est lancinee que par les moxas
de la vanite. Puis l'hallucination se compliquant, se variant,
mais suivant la marche progressive decrite par les medecins, il
croit que par un _fiat_ de la Providence, Sainte-Helene a pris la
place de Jersey.

Cet homme est si peu elegiaque, si peu ethere, qu'il ferait
horreur meme a un notaire.

Hugo-Sacerdoce a toujours le front penche; -- trop penche pour
rien voir, excepte son nombril.

Qu'est-ce qui n'est pas un sacerdoce aujourd'hui? La jeunesse
elle-meme est un sacerdoce, -- a ce que dit la jeunesse.

Et qu'est-ce qui n'est pas une priere? -- Chier est une priere, a
ce que disent les democrates quand ils chient.

M. de Pontmartin, -- un homme qui a toujours l'air d'arriver de sa
province...

L'homme, c'est-a-dire chacun, est si naturellement deprave qu'il
souffre moins de l'abaissement universel que de l'etablissement
d'une hierarchie raisonnable.

Le monde va finir. La seule raison pour laquelle il pourrait
durer, c'est qu'il existe. Que cette raison est faible, comparee a
toutes celles qui annoncent le contraire, particulierement a
celle-ci: qu'est-ce que le monde a desormais a faire sous le ciel?
-- Car, en supposant qu'il continuat a exister materiellement,
serait-ce une existence digne de ce nom et du dictionnaire
historique? Je ne dis pas que le monde sera reduit aux expedients
et au desordre, bouffon des republiques du Sud-Amerique, -- que
peut-etre meme nous retournerons a l'etat sauvage, et que nous
irons, a travers les ruines herbues de notre civilisation,
chercher notre pature, un fusil a la main. Non; -- car ce sort et
ces aventures supposeraient encore une certaine energie vitale,
echo des premiers ages. Nouvel exemple et nouvelles victimes des
inexorables lois morales, nous perirons par ou nous avons cru
vivre. La mecanique nous aura tellement americanises, le progres
aura si bien atrophie en nous toute la partie spirituelle, que
rien parmi les reveries sanguinaires, sacrileges, ou anti-
naturelles des utopistes ne pourra etre compare a ses resultats
positifs. Je demande a tout homme qui pense de me montrer ce qui
subsiste de la vie. De la religion, je crois inutile d'en parler
et d'en chercher les restes, puisque se donner encore la peine de
nier Dieu est le seul scandale en pareilles matieres. La propriete
avait disparu virtuellement avec la suppression du droit
d'ainesse; mais le temps viendra ou l'humanite, comme un ogre
vengeur, arrachera leur dernier morceau a ceux qui croiront avoir
herite legitimement des revolutions. Encore, la ne serait pas le
mal supreme.
L'imagination humaine peut concevoir sans trop de peine, des
republiques ou autres etats communautaires, dignes de quelque
gloire, s'ils sont diriges par des hommes sacres, par de certains
aristocrates. Mais ce n'est pas particulierement par des
institutions politiques que se manifestera la ruine universelle,
ou le progres universel; car peu m'importe le nom. Ce sera par
l'avilissement des coeurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui
restera de politique se debattra peniblement dans les etreintes de
l'animalite generale, et que les gouvernants seront forces, pour
se maintenir et pour creer un fantome d'ordre, de recourir a des
moyens qui feraient frissonner notre humanite actuelle, pourtant
si endurcie? -- Alors, le fils fuira la famille, non pas a dix-
huit ans, mais a douze, emancipe par sa precocite gloutonne; il la
fuira, non pas pour chercher des aventures heroiques, non pas pour
delivrer une beaute prisonniere dans une tour, non pas pour
immortaliser un galetas par de sublimes pensees, mais pour fonder
un commerce, pour s'enrichir, et pour faire concurrence a son
infame papa, -- fondateur et actionnaire d'un journal qui repandra
les lumieres et qui ferait considerer le _Siecle_ d'alors comme un
suppot de la superstition. Alors, les errantes, les declassees,
celles qui ont eu quelques amants, et qu'on appelle parfois des
Anges, en raison et en remerciement de l'etourderie qui brille,
lumiere de hasard, dans leur existence logique comme le mal, --
alors celles-la, dis-je, ne seront plus qu'impitoyable sagesse,
sagesse qui condamnera tout, fors l'argent, tout, meme _les
erreurs des sens_! .... Alors, ce qui ressemblera a la vertu, --
que dis-je, -- tout ce qui ne sera pas l'ardeur vers Plutus sera
repute un immense ridicule. La justice, si, a cette epoque
fortunee, il peut encore exister une justice, fera interdire les
citoyens qui ne sauront pas faire fortune. -- Ton epouse, o
Bourgeois! ta chaste moitie dont la legitimite fait pour toi la
poesie, introduisant desormais dans la legalite une infamie
irreprochable, gardienne vigilante et amoureuse de ton coffre-
fort, ne sera plus que l'ideal parfait de la femme entretenue. Ta
fille, avec une nubilite enfantine, revera dans son berceau,
qu'elle se vend un million. Et toi-meme, o Bourgeois, -- moins
poete encore que tu n'es aujourd'hui, -- tu n'y trouveras rien a
redire; tu ne regretteras rien. Car il y a des choses dans
l'homme, qui se fortifient et prosperent a mesure que d'autres se
delicatisent et s'amoindrissent, et, grace au progres de ces
temps, il ne te restera de tes entrailles que des visceres!
Quant a moi qui sens quelquefois en moi le ridicule d'un prophete,
je sais que je n'y trouverai jamais la charite d'un medecin. Perdu
dans ce vilain monde, coudoye par les foules, je suis comme un
homme lasse dont l'oeil ne voit en arriere, dans les annees
profondes, que desabusement et amertume, et devant lui qu'un orage
ou rien de neuf n'est contenu, ni enseignement, ni douleur. Le
soir ou cet homme a vole a la destinee quelques heures de plaisir,
berce dans sa digestion, oublieux autant que possible -- du passe,
content du present et resigne a l'avenir, enivre de son sang-froid
et de son dandysme, fier de n'etre pas aussi bas que ceux qui
passent, il se dit en contemplant la fumee de son cigare: Que
m'importe ou vont ces consciences?
Je crois que j'ai derive dans ce que les gens du metier appellent
un hors-d'oeuvre. Cependant, je laisserai ces pages, -- parce que
je veux dater ma colere. Tristesse.



MON COEUR MIS A NU
(Deuxieme partie des journaux intimes)

Table des matieres

Presentation
I
1.
2.
3.
II
4.
III
5.
IV
6.
7.
V
8.
VI
9.
10.
VII
11.
12.
VIII
13.
14.
IX
15.
16.
X
17.
18.
XI
19.
20
XII
21.
XIII
22.
XIV
23.
24.
XV
25.
XVI
26.
XVII
27.
28.
XVIII
29.
30.
XIX
31.
32.
XX
33.
34.
XXI
35.
36.
XXII
37.
38.
XXIII
39.
40.
41.
XXIV
42.
43.
XXV
44.
45.
XXVI
46.
47.
XXVII
48.
49.
XXVIII
50.
51.
XXIX
52.
53.
XXX
54.
55.
XXXI
56.
57.
XXXII
58.
59.
XXXIII
60.
61.
XXXIV
62.
XXXV
63.
XXXVI
64.
XXXVII
65.
66.
67.
XXXVIII
68.
69.
XXXIX
70.
71.
XL
72.
73.
XLI
74.
75.
XLII
76.
77.
XLIII
78.
79.
XLIV
80.
XLV
81.
82.
XLVI
83.
XLVII
84.
XLVIII
85.


Presentation

"Un grand livre auquel je reve depuis deux ans: _Mon coeur mis a
nu,_ et ou j'entasserai toutes mes coleres. Ah! si jamais celui-la
voit le jour, _Les confessions_ de Jean-Jacques paraitront pales.
Tu vois que je reve encore."

Lettre de Charles Baudelaire a sa mere (1er avril 1861)

La publication fut posthume, en 1887.

Apparemment, la composition de _Mon coeur mis a nu_ daterait des
annees 1852 -- 1866.

C'est initialement pour lui seul, et pour quelques intimes, que
Baudelaire a jete sur le papier les bases de ce "livre de
rancunes". Sachez, le moment venu, jeter sur certaines crudites,
le manteau de Noe.

Ces journaux intimes sont restes a l'etat de feuilles volantes
jusqu'a la mort du poete en 1867.

Poulet-Malassis, ami et editeur de Baudelaire, numerote plus tard
les fragments (chiffres arabes), les fixe sur des feuilles
foliotees (chiffres romains), et fait relier le tout dans des
cartonnages.

La presente edition comporte cette double numerotation, en
chiffres romains et en chiffres arabes


I
1.

De la vaporisation et de la centralisation du _Moi_. Tout est la.

D'une certaine jouissance sensuelle dans la societe des
extravagants.

(Je peux commencer _Mon coeur mis a nu_ n'importe ou, n'importe
comment, et le continuer au jour le jour, suivant l'inspiration du
jour et de la circonstance, pourvu que l'inspiration soit vive).

2.
Le premier venu, pourvu qu'il sache amuser, a le droit de parler
de lui-meme.

3.
Je comprends qu'on deserte une cause pour savoir ce qu'on
eprouvera a en servir une autre.

Il serait peut-etre doux d'etre alternativement victime et
bourreau.


II
4.

_Sottises de Girardin_

Notre habitude est de prendre le taureau _par les cornes_. Prenons
donc le discours par _la fin_. (_7 nov. 1863_).

Donc, Girardin croit que les cornes des taureaux sont plantees sur
leur derriere. Il confond les cornes avec la queue.

Qu'avant d'imiter les Ptolemees du journalisme francais, les
journalistes belges se donnent la peine de reflechir sur la
question que j'etudie depuis trente ans sous toutes ses faces,
ainsi que le prouvera le volume qui paraitra prochainement sous ce
titre: Questions de presse; qu'ils ne se hatent pas de traiter de
_souverainement ridicule_ une opinion qui est aussi vraie qu'il
est vrai que la terre tourne et que le soleil ne tourne pas.
Emile de Girardin.

"Il y a des gens qui pretendent que rien n'empeche de croire que,
le ciel etant immobile, c'est la terre qui tourne autour de son
axe. Mais ces gens-la ne sentent pas, a raison de ce qui se passe
autour de nous, combien leur opinion est souverainement ridicule
[texte en grec]."
PTOLEMEE, _Almageste_, livre Ier, chap. VI.

_Et habet mea mentrita [sic] meatum._
GIRARDIN.
[image du texte grec]

"souverainement ridicule"


III
5.

La femme est le contraire du Dandy.
Donc elle doit faire horreur.
La femme a faim et elle veut manger. Soif, et elle veut boire.

Elle est en rut et elle veut etre foutue.

Le beau merite!

La femme est _naturelle_, c'est-a-dire abominable.

Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-a-dire le contraire du
Dandy.

------------

Relativement a la Legion d'Honneur.

Celui qui demande la croix a l'air de dire: si l'on ne me decore
pas pour avoir fait mon devoir, je ne recommencerai plus.

- si un homme a du merite, a quoi bon le decorer? s'il n'en a pas,
on peut le decorer, parce que [cela] lui donnera un lustre.

Consentir a etre decore, c'est reconnaitre a l'Etat ou au prince
le droit de vous juger, de vous illustrer, etc.

------------

D'ailleurs, si ce n'est l'orgueil, l'humilite chretienne defend la
croix.

_Calcul en faveur de Dieu._

Rien n'existe sans but.

Donc mon existence a un but. Quel but? Je l'ignore.

Ce n'est donc pas moi qui l'ait marque.

C'est donc quelqu'un, plus savant que moi.

Il faut donc prier ce quelqu'un de m'eclairer. C'est le parti le
plus sage.

Le Dandy doit aspirer a etre sublime sans interruption; il doit
vivre et dormir devant un miroir.


IV
6.

Analyse des contre-religions, exemple: la prostitution sacree.

Qu'est-ce que la prostitution sacree?

Excitation nerveuse.

Mysticite du paganisme.

Le mysticisme, trait d'union entre le paganisme et le
christianisme.

Le paganisme et le christianisme se prouvent reciproquement.

La revolution et le culte de la Raison prouvent l'idee du
sacrifice.

La superstition est le reservoir de toutes les verites.

7.

Il y a dans tout changement quelque chose d'infame et d'agreable a
la fois, quelque chose qui tient de l'infidelite et du
demenagement. Cela suffit a expliquer la revolution francaise.


V
8.

Mon ivresse en 1848.

De quelle nature etait cette ivresse?

Gout de la vengeance. Plaisir _naturel_ de la demolition. Ivresse
litteraire; souvenir des lectures.

Le 15 mai. - Toujours le gout de la destruction. Gout legitime si
tout ce qui est naturel est legitime.

------------

Les horreurs de Juin. Folie du peuple et folie de la bourgeoisie.
Amour naturel du crime.

------------

Ma fureur au coup d'Etat. Combien j'ai essuye de coups de fusil.
Encore un Bonaparte! Quelle honte!

Et cependant tout s'est pacifie. Le President n'a-t-il pas un
droit a invoquer?

Ce qu'est l'Empereur Napoleon III. Ce qu'il vaut. Trouver
l'explication de sa nature, et sa providentialite.


VI
9.

Etre un homme utile m'a paru toujours quelque chose de bien
hideux.

------------

1848 ne fut amusant que parce que chacun y faisait des utopies
comme des chateaux en Espagne.

1848 ne fut charmant que par l'exces meme du Ridicule.

------------

Robespierre n'est estimable que parce qu'il a fait quelques belles
phrases.

10.

La Revolution, par le sacrifice, confirme la superstition.


VII
11.

POLITIQUE

Je n'ai pas de convictions, comme l'entendent les gens de mon
siecle, parce que je n'ai pas d'ambition.

Il n'y a pas en moi de base pour une conviction.

Il y a une certaine lachete ou plutot une certaine mollesse chez
les honnetes gens.

Les brigands seuls sont convaincus, - de quoi? - qu'il leur faut
reussir. Aussi, ils reussissent.

Pourquoi reussirais-je, puisque je n'ai meme pas envie d'essayer?

On peut fonder des empires glorieux sur le crime, et de nobles
religions sur l'imposture.

------------

Cependant, j'ai quelques convictions, dans un sens plus eleve, et
qui ne peut pas etre compris par les gens de mon temps.

12.

Sentiment de _solitude_, des mon enfance. Malgre la famille, - et
au milieu des camarades, surtout, - sentiment de destinee
eternellement solitaire.

Cependant, gout tres vif de la vie et du plaisir.


VIII
13.

Presque toute notre vie est employee a des curiosites niaises. En
revanche il y a des choses qui devraient exciter la curiosite des
hommes au plus haut degre, et qui, a en juger par leur train de
vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.

Ou sont nos amis morts?

Pourquoi sommes-nous ici?

Venons-nous de quelque part?

Qu'est-ce que la liberte?

Peut-elle s'accorder avec la loi providentielle?

Le nombre des ames est-il fini ou infini?

Et le nombre des terres habitables?

Etc., etc.

14.

Les nations n'ont de grands hommes que malgre elles. Donc le grand
homme est vainqueur de toute sa nation.

Les religions modernes ridicules

Moliere.

Beranger.

Garibaldi.


IX
15.

La croyance au progres est une doctrine de paresseux, une doctrine
de _Belges_. C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour
faire sa besogne.

Il ne peut y avoir de progres (vrai, c'est-a-dire moral) que dans
l'individu et par l'individu lui-meme.

Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu'en commun,
en bandes. Ainsi les _Societes belges_.

Il y a aussi des gens qui ne peuvent s'amuser qu'en troupe. Le
vrai heros s'amuse tout seul.

16.

Eternelle superiorite du Dandy.

Qu'est-ce que le Dandy?


X
17.

Mes opinions sur le theatre. Ce que j'ai toujours trouve de plus
beau dans un theatre, dans mon enfance et encore maintenant, c'est
le _lustre_, - un bel objet lumineux, cristallin, complique,
circulaire et symetrique.

Cependant, je ne nie pas absolument la valeur de la litterature
dramatique. Seulement, je voudrais que les comediens fussent
montes sur des patins tres hauts, portassent des masques plus
expressifs que le visage humain, et parlassent a travers des
porte-voix; enfin que les roles de femmes fussent joues par des
hommes.

Apres tout, le lustre m'a toujours paru l'acteur principal, vu a
travers le gros bout ou le petit bout de la lorgnette.

18.

Il faut travailler, sinon par gout, au moins par desespoir,
puisque, tout bien verifie, travailler est moins ennuyeux que
s'amuser.


XI
19.

Il y a dans tout homme, a toute heure, deux postulations
simultanees, l'une vers Dieu, l'autre vers Satan. L'invocation a
Dieu, ou spiritualite, est un desir de monter en grade; celle de
Satan, ou animalite, est une joie de descendre. C'est a cette
derniere que doivent etre rapportees les amours pour les femmes et
les conversations intimes avec les animaux, chiens, chats, etc.

Les joies qui derivent de ces deux amours sont adaptees a la
nature de ces deux amours.

20

Ivresse d'Humanite.
Grand tableau a faire:

Dans le sens de la charite.

Dans le sens du libertinage.

Dans le sens litteraire, ou du Comedien.


XII
21.

La question (torture) est, comme art de decouvrir la verite, une
niaiserie barbare; c'est l'application d'un moyen materiel a un
but spirituel.

------------

La peine de Mort est le resultat d'une idee mystique, totalement
incomprise aujourd'hui. La peine de Mort n'a pas pour but de
_sauver_ la societe, materiellement du moins. Elle a pour but de
_sauver_ (spirituellement) la societe et le coupable. Pour que le
sacrifice soit parfait, il faut qu'il y ait assentiment et joie de
la part de la victime. Donner du chloroforme a un condamne a mort
serait une impiete, car ce serait lui enlever la conscience de sa
grandeur comme victime et lui supprimer les chances de gagner le
Paradis.

------------

Quant a la torture, elle est nee de la partie infame du coeur de
l'homme, assoiffe de voluptes. Cruaute et volupte, sensations
identiques, comme l'extreme chaud et l'extreme froid.


XIII
22.

Ce que je pense du vote et du droit d'elections. Des droits de
l'homme.
Ce qu'il y a de vil dans une fonction quelconque.

Un Dandy ne fait rien.

Vous figurez-vous un Dandy parlant au peuple, excepte pour le
bafouer?

------------

Il n'y a de gouvernement raisonnable et assure que
l'aristocratique.

Monarchie ou republique, basees sur la democratie, sont egalement
absurdes et faibles.

------------

Immense nausee des affiches.

------------

Il n'existe que trois etres respectables:

Le pretre, le guerrier, le poete. Savoir, tuer et creer.

Les autres hommes sont taillables et corveables, faits pour
l'ecurie, c'est-a-dire pour exercer ce qu'on appelle des
_professions_.


XIV
23.

Observons que les abolisseurs de la peine de mort doivent etre
plus ou moins _interesses_ a l'abolir.

Souvent ce sont des guillotineurs. Cela peut se resumer ainsi: "Je
veux pouvoir couper ta tete; mais tu ne toucheras pas a la
mienne".

Les abolisseurs d'ames (_materialistes_) sont necessairement des
abolisseurs d'_enfer_; ils y sont a coup sur _interesses_.

Tout au moins ce sont des gens qui ont _peur de revivre_, - des
paresseux.

24.

Madame de Metternich, quoique princesse, a oublie de me repondre a
propos de ce que j'ai dit d'elle et de Wagner.

Moeurs du 19e siecle.


XV
25.

Histoire de ma traduction d'_Edgar Poe_.

Histoire des _Fleurs du Mal_, humiliation par le malentendu, et
mon proces.

Histoire de mes rapports avec tous les hommes celebres de ce
temps.

Jolis portraits de quelques imbeciles:
Clement de Ris.
Castagnary.

Portraits de magistrats, de fonctionnaires, de directeurs de
journaux, etc.

Portrait de l'artiste, en general.

Du redacteur en chef et de la pionnerie. Immense gout de tout le
peuple francais pour la pionnerie, et pour la dictature. C'est le:
"si j'etais roi!".

Portraits et anecdotes.

Francois, - Buloz, - Houssaye, - le fameux Rouy, - de Calonne, -
Charpentier, - qui corrige ses auteurs, en vertu de l'egalite
donnee a tous les hommes par les immortels principes de 89; -
Chevalier, veritable redacteur en chef selon l'Empire.


XVI
26.

_Sur George Sand._

La femme Sand est le Prudhomme de l'immoralite. Elle a toujours
ete moraliste.

Seulement elle faisait autrefois de la contre-morale. - Aussi elle
n'a jamais ete artiste.

Elle a le fameux _style coulant_, cher aux bourgeois.

Elle est bete, elle est lourde, elle est bavarde; elle a dans les
idees morales la meme profondeur de jugement et la meme
delicatesse de sentiment que les concierges et les filles
entretenues.

Ce qu'elle dit de sa mere.

Ce qu'elle dit de la poesie.

Son amour pour les ouvriers.

Que quelques hommes aient pu s'amouracher de cette latrine, c'est
bien la preuve de l'abaissement des hommes de ce siecle.

Voir la preface de _Mademoiselle La Quintinie_, ou elle pretend
que les vrais chretiens ne croient pas a l'Enfer. La Sand est pour
le _Dieu des bonnes gens_, le dieu des concierges et des
domestiques filous. Elle a de bonnes raisons pour vouloir
supprimer l'Enfer.


XVII
27.

LE DIABLE ET GEORGE SAND.

Il ne faut pas croire que le Diable ne tente que les hommes de
genie. Il meprise sans doute les imbeciles, mais il ne dedaigne
pas leur concours. Bien au contraire, il fonde ses grands espoirs
sur ceux-la.

Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre
chose, une _grosse bete_; mais elle est _possedee_. C'est le
Diable qui lui a persuade de se fier a _son bon coeur_ et a _son
bon sens_, afin qu'elle persuadat toutes les autres grosses betes
de se fier a leur bon coeur et a leur bon sens.

Je ne puis penser a cette stupide creature sans un certain
fremissement d'horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais
m'empecher de lui jeter un benitier a la tete.

28.

George Sand est une de ces vieilles ingenues qui ne veulent jamais
quitter les planches. J'ai lu dernierement une preface (la preface
de _Mademoiselle La Quintinie_) ou elle pretend qu'un vrai
chretien ne peut pas croire a l'Enfer. Elle a de bonnes raisons
pour vouloir supprimer l'Enfer.

[fragment non numerote]

La Religion de la femme Sand. Preface de _Mademoiselle La
Quintinie_. La femme Sand est interessee a croire que l'Enfer
n'existe pas.


XVIII
29.

Je m'ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble
a Voltaire.

Emerson a oublie Voltaire dans ses _Representants de l'humanite_.
Il aurait pu faire un joli chapitre intitule: _Voltaire, ou
l'anti-poete_, le roi des badauds, le prince des superficiels,
l'anti-artiste, le predicateur des concierges, le pere Gigogne des
redacteurs du _Siecle_.

30.

Dans _Les Oreilles du Comte de Chesterfield_, Voltaire plaisante
sur cette ame immortelle qui a reside, pendant neuf mois entre des
excrements et des urines. Voltaire, comme tous les paresseux,
haissait le mystere.

Ne pouvant pas supprimer l'amour, l'Eglise a voulu au moins le
desinfecter, et elle a fait le mariage.


XIX
31.

Portrait de la canaille litteraire.

Doctor Estaminetus Crapulosus, Pedantissimus. Son portrait fait a
la maniere de Praxitele.

Sa pipe.

Ses opinions.

Son Hegelianisme.

Sa crasse.

Ses idees en art.

Son fiel.

Sa jalousie.

Un joli tableau de la jeunesse moderne.

32.

ELIEN (?)

[Texte en grec].

[Image texte grec]

Elien, _Histoire des animaux_ (IX, 62)

"Pourquoi le poete ne serait-il pas un broyeur de poisons aussi
bien qu'un confiseur, un eleveur de serpents pour miracles et
spectacles?"

Baudelaire, lettre a Jules Janin


XX
33.

La Theologie.

Qu'est-ce que la chute?

Si c'est l'unite devenue dualite, c'est Dieu qui a chute.

Au moins aurait-il pu deviner dans cette localisation une malice
ou une satire de la providence contre l'amour, et, dans le mode de
la generation, un signe du peche originel. De fait, nous ne
pouvons faire l'amour qu'avec des organes excrementiels.

En d'autres termes, la creation ne serait-elle pas la chute de
Dieu?

------------

_Dandysme._

Qu'est-ce que l'homme superieur?

Ce n'est pas le specialiste.

C'est l'homme de Loisir et d'Education generale.

Etre riche et aimer le travail.


34.

Pourquoi l'homme d'esprit aime les filles plus que les femmes du
monde, malgre qu'elles soient egalement betes? - A trouver.


XXI
35.

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Legion
d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies a de
certains hommes.

C'est par la meme raison que je ne chausserais pas les culottes
d'un galeux.

Ce qu'il y a d'ennuyeux dans l'amour, c'est que c'est un crime ou
l'on ne peut pas se passer d'un complice.

36.
Etude de la grande Maladie de l'horreur du Domicile. Raisons de la
Maladie. Accroissement progressif de la Maladie.

------------

Indignation causee par la fatuite universelle, de toutes les
classes, de tous les etres, dans les deux sexes, dans tous les
ages.

------------

L'homme aime tant l'homme que quand il fuit la ville, c'est encore
pour chercher la foule, c'est-a-dire pour refaire la ville a la
campagne.


XXII
37.

Discours de Durandeau sur les Japonais. (Moi! je suis Francais
avant tout). Les Japonais sont des singes. C'est Darjou qui me l'a
dit.

------------

Discours du medecin, l'ami de Mathieu, sur l'art de ne pas faire
d'enfants, sur Moise et sur l'immortalite de l'ame.

------------

L'art est un agent civilisateur (Castagnary).

38.

Physionomie d'un sage et de sa famille au cinquieme etage, buvant
le cafe au lait.

------------

Le sieur Nacquart pere et le sieur Nacquart fils.

Comment le Nacquart fils est devenu conseiller en Cour d'appel.


XXIII
39.

De l'amour, de la predilection des Francais pour les metaphores
militaires. Toute metaphore ici porte des moustaches.

Litterature militante.

Rester sur la breche.

Porter haut le drapeau.

Tenir le drapeau haut et ferme.

Se jeter dans la melee.

Un des veterans.

Toutes ces glorieuses phraseologies s'appliquent generalement a
des cuistres et a des faineants d'estaminet.

------------

40.

Metaphores francaises.

Soldat de la presse judiciaire (Bertin).

La presse militante.

------------

41.

A ajouter aux metaphores militaires:

Les poetes de combat.

Les litterateurs d'avant-garde.

Ces habitudes de metaphores militaires denotent des esprits, non
pas militants, mais faits pour la discipline, c'est-a-dire pour la
conformite, des esprits nes domestiques, des esprits belges, qui
ne peuvent penser qu'en societe.


XXIV
42.

Le gout du plaisir nous attache au present. Le soin de notre salut
nous suspend a l'avenir.

Celui qui s'attache au plaisir, c'est-a-dire au present, me fait
l'effet d'un homme roulant sur une pente, et qui voulant se
raccrocher aux arbustes, les arracherait et les emporterait dans
sa chute.

_Avant tout_, Etre _un grand homme_ et _un Saint_ pour soi-meme.

43.

De la haine du peuple contre la beaute.

Des exemples.

Jeanne et Mme Muller.


XXV
44.

POLITIQUE.

En somme, devant l'histoire et devant le peuple francais, la
grande gloire de Napoleon III aura ete de prouver que le premier
venu peut, en s'emparant du telegraphe et de l'Imprimerie
nationale, gouverner une grande nation.

Imbeciles sont ceux qui croient que de pareilles choses peuvent
s'accomplir sans la permission du peuple, - et ceux qui croient
que la gloire ne peut etre appuyee que sur la vertu!

Les dictateurs sont les domestiques du peuple, - rien de plus, -
un foutu role d'ailleurs, - et la gloire est le resultat de
l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale.

45.

Qu'est-ce que l'amour?

Le besoin de sortir de soi.

L'homme est un animal adorateur.

Adorer, c'est se sacrifier et se prostituer.

Aussi tout amour est-il prostitution.

------------

[fragment non numerote]

L'etre le plus prostitue, c'est l'etre par excellence, c'est Dieu,
puisqu'il est l'ami supreme pour chaque individu, puisqu'il est le
reservoir commun, inepuisable, de l'amour.

[Fragment non numerote]

PRIERE

Ne me chatiez pas dans ma mere et ne chatiez pas ma mere a cause
de moi. - Je vous recommande les ames de mon pere et de Mariette.
- Donnez-moi la force de faire immediatement mon devoir tous les
jours et de devenir ainsi un heros et un Saint.


XXVI
46.

Un chapitre sur l'indestructible, eternelle, universelle et
ingenieuse ferocite humaine.

De l'amour du sang.

De l'ivresse du sang.

De l'ivresse des foules.

De l'ivresse du supplicie (Damiens).

47.

Il n'y a de grand parmi les hommes que le poete, le pretre et le
soldat, l'homme qui chante, l'homme qui benit, l'homme qui
sacrifie et se sacrifie.

Le reste est fait pour le fouet.

------------

Defions-nous du peuple, du bon sens, du coeur, de l'inspiration,
et de l'evidence.


XXVII
48.

J'ai toujours ete etonne qu'on laissat les femmes entrer dans les
eglises. Quelle conversation peuvent-elles tenir avec Dieu?

------------

L'eternelle Venus (caprice, hysterie, fantaisie) est une des
formes seduisantes du Diable.

------------

Le jour ou le jeune ecrivain corrige sa premiere epreuve, il est
fier comme un ecolier qui vient de gagner sa premiere verole.

------------

Ne pas oublier un grand chapitre sur l'art de la divination, par
l'eau, les cartes, l'inspection de la main, etc.

49.

La femme ne sait pas separer l'ame du corps. Elle est simpliste,
comme les animaux. - Un satirique dirait que c'est parce qu'elle
n'a que le corps.

------------

Un chapitre sur

La _Toilette_.

Moralite de la Toilette

Les bonheurs de la Toilette.


XXVIII
50.

De la cuistrerie.

des professeurs
des juges
des pretres

et des ministres.

------------

Les jolis grands hommes du jour.

Renan.
Feydeau.
Octave Feuillet.
Scholl.

------------

Les directeurs de journaux, Francois Buloz, Houssaye, Rouy,
Girardin, Texier, de Calonne, Solar, Turgan, Dalloz.

- Liste de canailles, Solar en tete.

------------

51.

Etre un grand homme et un saint _pour soi-meme_, voila l'unique
chose importante.


XXIX
52.

Nadar, c'est la plus etonnante expression de vitalite. Adrien me
disait que son frere Felix avait tous les visceres en double. J'ai
ete jaloux de lui a le voir si bien reussir dans tout ce qui n'est
pas l'abstrait.

------------

Veuillot est si grossier et si ennemi des arts qu'on dirait que
toute la Democratie du monde s'est refugiee dans son sein.

Developpement du portrait.

Suprematie de l'idee pure, chez le chretien comme chez le
communiste babouviste.

Fanatisme de l'humilite. Ne pas meme aspirer a comprendre la
Religion.


53.
Musique.

De l'esclavage.

Des femmes du monde.

Des filles.

Des magistrats.

Des sacrements.

L'homme de lettres est l'ennemi du monde.

Des bureaucrates.


XXX
54.

Dans l'amour comme dans presque toutes les affaires humaines,
l'entente cordiale est le resultat d'un malentendu. Ce malentendu,
c'est le plaisir. L'homme crie: "O! mon ange!" La femme roucoule:
"Maman! maman! Et ces deux imbeciles sont persuades qu'ils pensent
de concert. - Le gouffre infranchissable, qui fait
l'incommunicabilite, reste infranchi.

55.

Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si
eternellement agreable?

Parce que la mer offre a la fois l'idee de l'immensite et du
mouvement. Six ou sept lieues representent pour l'homme le rayon
de l'infini. Voila un infini diminutif. Qu'importe s'il suffit a
suggerer l'idee de l'infini total? Douze ou quatorze lieues (sur
le diametre), douze ou quatorze de liquide en mouvement suffisent
pour donner la plus haute idee de beaute qui soit offerte a
l'homme sur son habitacle transitoire.


XXXI
56.

Il n'y a rien d'interessant sur la terre que les religions.

Qu'est-ce que la Religion universelle? (Chateaubriand, de Maistre,
les Alexandrins, Cape).

Il y a une Religion Universelle faite pour les Alchimistes de la
Pensee, une Religion qui se degage de l'homme, considere comme
memento divin.

57.

Saint-Marc Girardin a dit un mot qui restera: _Soyons mediocres_.

Rapprochons ce mot de celui de Robespierre: Ceux qui ne croient
pas a l'immortalite de leur etre se rendent justice".

Le mot de Saint-Marc G[irardin] implique une immense haine contre
le sublime.

Qui a vu S[ain]t-M[arc] G[irardin] marcher dans la rue a concu
tout de suite l'idee d'une grande oie infatuee d'elle-meme, mais
effaree et courant sur la grande route, devant la diligence.


XXXII
58.

Theorie de la vraie civilisation.

Elle n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables
tournantes, elle est dans la diminution des traces du peche
originel.

Peuples nomades, pasteurs, chasseurs, agricoles et meme
anthropophages, _tous_ peuvent etre superieurs par l'energie, par
la dignite personnelles, a nos races d'Occident.

Celles-ci peut-etre seront detruites.

Theocratie et communisme.

59.

C'est par le loisir que j'ai, en partie, grandi.

A mon grand detriment; car le loisir, sans fortune, augmente les
dettes, les avanies resultant des dettes.

Mais a mon grand profit, relativement a la sensibilite, a la
meditation, et a la faculte du dandysme et du dilettantisme.

Les autres hommes de lettres sont, pour la plupart, de vils
piocheurs tres ignorants.


XXXIII
60.

La jeune fille des editeurs.

La jeune fille des redacteurs en chef.

La jeune fille epouvantail, monstre, assassin de l'art.

La jeune fille, ce qu'elle est en realite.

Une petite sotte et une petite salope; la plus grande imbecillite
unie a la plus grande depravation.

Il y a dans la jeune fille toute l'abjection du voyou et du
collegien.

61.

Avis aux non-communistes:

Tout est commun, meme Dieu.


XXXIV
62.

Le Francais est un animal de basse-cour, si bien domestique qu'il
n'ose franchir aucune palissade. Voir ses gouts en art et en
litterature.

C'est un animal de race latine; l'ordure ne lui deplait pas dans
son domicile, et en litterature, il est scatophage. Il raffole des
excrements. Les litterateurs d'estaminet appellent cela le _sel
gaulois_.

_Bel exemple de la bassesse francaise, de la nation qui se pretend
independante avant toutes les autres._

L'extrait suivant du beau livre de M. de Vaulabelle suffira pour
donner une idee de l'impression que fit l'evasion de Lavalette sur
la portion la moins eclairee du parti royaliste:
"L'emportement royaliste, a ce moment de la seconde Restauration,
allait pour ainsi dire, jusqu'a la folie. La jeune Josephine de
Lavalette faisait son education dans l'un des principaux couvents
de Paris (l'Abbaye-aux-Bois); elle ne l'avait quitte que pour
venir embrasser son pere. Lorsqu'elle rentra apres l'evasion et
que l'on connut la part bien modeste qu'elle y avait prise, une
immense clameur s'eleva contre cette enfant; les religieuses et
ses compagnes la fuyaient, et bon nombre de parents declarerent
qu'ils retireraient leurs filles si on la gardait. Ils ne
voulaient pas, disaient-ils, laisser leurs enfants en contact avec
une jeune personne qui avait tenu une pareille conduite et donne
un pareil exemple. Quand Mme de Lavalette, six semaines apres,
recouvra la liberte, elle fut obligee de reprendre sa fille".


XXXV
63.

_Princes et generations._

Il y a une egale injustice a attribuer aux princes regnants les
merites et les vices du peuple actuel qu'ils gouvernent.

Ces merites et ces vices sont presque toujours, comme la
statistique et la logique le pourraient demontrer, attribuables a
l'atmosphere du gouvernement precedent.

Louis XIV herite des hommes de Louis XIII.. Gloire.

Napoleon Ier herite des hommes de la Republique. Gloire.

Louis-Philippe herite des hommes de Charles X. Gloire.

Napoleon III herite des hommes de Louis-Philippe. Deshonneur.

C'est toujours le gouvernement precedent qui est responsable des
moeurs du suivant, en tant qu'un gouvernement puisse etre
responsable de quoi que ce soit.

Les coupures brusques que les circonstances font dans les regnes
ne permettent pas que cette loi soit absolument exacte,
relativement au temps. On ne peut pas marquer exactement ou finit
une influence - mais cette influence subsistera dans toute la
generation qui l'a subie dans sa jeunesse.


XXXVI
64.

De la haine de la jeunesse contre les citateurs. Le citateur est
pour eux un ennemi.

Je mettrai l'orthographe meme sous la main du bourreau. (Th.
Gautier).

------------

Beau tableau a faire: la Canaille Litteraire.

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Ne pas oublier un portrait de Forgues, le Pirate, l'Ecumeur de
Lettres.

------------

Gout invincible de la prostitution dans le coeur de l'homme, d'ou
nait son horreur de la solitude. - Il veut etre _deux_. L'homme de
genie veut etre _un_, donc solitaire.

La gloire, c'est rester _un_, et se prostituer d'une maniere
particuliere.

C'est cette horreur de la solitude, le besoin d'oublier son _moi_
dans la chair exterieure, que l'homme appelle noblement _besoin
d'aimer_.

------------
Deux belles religions, immortelles sur les murs, eternelles
obsessions du peuple: une pine (le phallus antique) - et "Vive
Barbes!" ou "A bas Philippe!" ou "Vive la Republique!".


XXXVII
65.

Etudier dans tous ses modes, dans les oeuvres de la nature et dans
les oeuvres de l'homme, l'universelle et eternelle loi de la
gradation, du _peu a peu_, du _petit a petit_, avec les forces
progressivement croissantes, comme les interets composes, en
matiere de finances.

Il en est de meme dans _l'habilete artistique et litteraire_, il
en est de meme dans le tresor variable de la _volonte_.

66.

La cohue des petits litterateurs, qu'on voit aux enterrements,
distribuant des poignees de mains, et se recommandant a la memoire
du faiseur de _courriers_.

De l'enterrement des hommes celebres.

67.

Moliere. Mon opinion sur _Tartuffe_ est que ce n'est pas une
comedie, mais un pamphlet. Un athee, s'il est simplement un homme
bien eleve, pensera, a propos de cette piece, qu'il ne faut jamais
livrer certaines questions graves a la canaille.


XXXVIII
68.

Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive
passion).

Glorifier le vagabondage et ce qu'on peut appeler le Bohemianisme,
culte de la sensation multipliee, s'exprimant par la musique. En
referer a Liszt.

------------

De la necessite de battre les femmes.

On peut chatier ce que l'on aime. Ainsi les enfants. Mais cela
implique la douleur de mepriser ce que l'on aime.

------------

Du cocuage et des cocus.

La douleur du cocu.

Elle nait de son orgueil, d'un raisonnement faux sur l'honneur et
sur le bonheur, et d'un amour niaisement detourne de Dieu pour
etre attribue aux creatures.

C'est toujours l'animal adorateur se trompant d'idole.

69.

Analyse de l'imbecillite insolente. Clement de Ris et Paul
Perignon.


XXXIX
70.

Plus l'homme cultive les arts, moins il bande.

Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l'esprit et
la brute.

La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du
peuple.

----------

Foutre, c'est aspirer a entrer dans un autre, et l'artiste ne sort
jamais de lui-meme.

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J'ai oublie le nom de cette salope... ah! bah! je le retrouverai
au jugement dernier.
----------

La musique donne l'idee de l'espace.

Tous les arts, plus ou moins; puisqu'ils sont _nombre_ et que le
nombre est une traduction de l'espace.

------------

_Vouloir tous les jours etre le plus grand des hommes!!!_

71.

Etant enfant, je voulais etre tantot pape, mais pape militaire,
tantot comedien.

Jouissances que je tirais de ces deux hallucinations.


XL
72.

Tout enfant, j'ai senti dans mon coeur deux sentiments
contradictoires, l'horreur de la vie et l'extase de la vie.

C'est bien le fait d'un paresseux nerveux.

73.

Les nations n'ont de grands hommes que malgre elles.

------------

A propos du comedien et de mes reves d'enfance, un chapitre sur ce
qui constitue, dans l'ame humaine, la vocation du comedien, la
gloire du comedien, l'art du comedien, et sa situation dans le
monde.

La theorie de Legouve. Legouve est-il un farceur froid, un Swift,
qui a essaye si la France pouvait avaler une nouvelle absurdite?
Son choix. Bon, en ce sens que Samson n'est pas un comedien.

De la vraie grandeur des parias.

------------

Peut-etre meme, la vertu nuit-elle aux talents des parias.


XLI
74.

Le commerce est, par son essence, _satanique_.

- Le commerce, c'est le prete-rendu, c'est le pret avec le sous-
entendu: _Rends-moi plus que je ne te donne_.
- L'esprit de tout commercant est completement vicie.
- Le commerce est _naturel_, _donc_ il est _infame_.
- Le moins infame de tous les commercants, c'est celui qui dit:
Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots
qui sont vicieux.
- Pour le commercant, l'honnetete elle-meme est une speculation de
lucre.
- Le commerce est satanique, parce qu'il est une des formes de
l'egoisme, et la plus basse et la plus vile.

75.

Quand Jesus-Christ dit: "Heureux ceux qui sont affames, car ils
seront rassasies", Jesus-Christ fait un calcul de probabilites.


XLII
76.

Le monde ne marche que par le Malentendu.

- C'est par le Malentendu universel que tout le monde s'accorde.
- Car si, par malheur, on se comprenait, on ne pourrait jamais
s'accorder.

------------

L'homme d'esprit, celui qui ne s'accordera jamais avec personne,
doit s'appliquer a aimer la conversation des imbeciles et la
lecture des mauvais livres. Il en tirera des jouissances ameres
qui compenseront largement sa fatigue.

77.

Un fonctionnaire quelconque, un ministre, un directeur de theatre
ou de journal, peuvent etre quelquefois des etres estimables, mais
ils ne sont jamais divins. Ce sont des personnes sans
personnalite, des etres sans originalite, nes pour la fonction,
c'est-a-dire pour la domesticite publique.


XLIII
78.

Dieu et sa profondeur.

On peut ne pas manquer d'esprit et chercher dans Dieu le complice
et l'ami qui manquent toujours. Dieu est l'eternel confident dans
cette tragedie dont chacun est le heros. Il y a peut-etre des
usuriers et des assassins qui disent a Dieu: "Seigneur, faites que
ma prochaine operation reussisse!" Mais la priere de ces vilaines
gens ne gate pas l'honneur et le plaisir de la mienne.

79.

Toute idee est, par elle-meme, douee d'une vie immortelle, comme
une personne.

Toute forme creee, meme par l'homme, est immortelle. Car la forme
est independante de la matiere, et ce ne sont pas les molecules
qui constituent la forme.

------------

Anecdotes relatives a Emile Douay et a Constantin Guys, detruisant
ou plutot croyant detruire leurs oeuvres.


XLIV
80.

Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de
n'importe quel jour ou quel mois ou quelle annee, sans y trouver a
chaque ligne les signes de la perversite humaine la plus
epouvantable, en meme temps que les _vanteries_ les plus
surprenantes de probite, de bonte, de charite, et les affirmations
les plus effrontees relatives au progres et a la civilisation.

Tout journal, de la premiere ligne a la derniere, n'est qu'un
tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicites, tortures,
crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers,
une ivresse d'atrocite universelle.

Et c'est de ce degoutant aperitif que l'homme civilise accompagne
son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime: le
journal, la muraille et le visage de l'homme.

Je ne comprends pas qu'une main puisse toucher un journal sans une
convulsion de degout.


XLV
81.

La force de l'amulette demontree par la philosophie. Les sols
perces, les talismans, les souvenirs de chacun.

Traite de Dynamique morale.
De la vertu des sacrements.

Des mon enfance, tendance a la mysticite. Mes conversations avec
Dieu.

82.

De l'Obsession, de la Possession, de la priere et de la Foi.

Dynamique morale de Jesus.

(Renan trouve ridicule que Jesus croie a la toute-puissance, meme
materielle, de la Priere et de la Foi).

Les sacrements sont les moyens de cette Dynamique.

------------

De l'infamie de l'imprimerie, grand obstacle au developpement du
Beau.

------------

Belle conspiration a organiser pour l'extermination de la Race
Juive.

Les Juifs, _Bibliothecaires_ et temoins de la _Redemption_.


XLVI
83.

Tous les imbeciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les
mots: "immoral, immoralite, moralite dans l'art" et autres betises
me font penser a Louise Villedieu, putain a cinq francs, qui
m'accompagnant une fois au Louvre, ou elle n'etait jamais allee,
se mit a rougir, a se couvrir le visage, et me tirant a chaque
instant par la manche, me demandait, devant les statues et les
tableaux immortels, comment on pouvait etaler publiquement de
pareilles indecences.

------------

Les feuilles de vigne du sieur Nieuwerkerke.


XLVII
84.

Pour que la loi du progres existat, il faudrait que chacun voulut
la creer; c'est-a-dire que quand tous les individus s'appliqueront
a progresser, alors, et seulement alors, l'humanite sera en
progres.

Cette hypothese peut servir a expliquer l'identite des deux idees
contradictoires, liberte et fatalite. - Non seulement il y aura,
dans le cas de progres, identite entre la liberte et la fatalite,
mais cette identite a toujours existe. Cette identite c'est
l'_histoire_, histoire des nations et des individus.


XLVIII
85.

Sonnet a citer dans _Mon coeur mis a nu_.

Citer egalement la piece sur _Roland_.

_Je songeais cette nuit que Philis revenue,_
_Belle comme elle etait a la clarte du jour,_
_Voulait que son fantome encore fit l'amour,_
_Et que, comme Ixion, j'embrassasse une nue._

_Son ombre dans mon lit se glisse toute nue,_
_Et me dit: "Cher Damon, me voici de retour;_
_Je n'ai fait qu'embellir en ce triste sejour_
_Ou depuis mon depart le Sort m'a retenue._

_"Je viens pour rebaiser le plus beau des amants;_
_Je viens pour remourir dans tes embrassements!"_
_Alors, quand cette idole eut abuse ma flamme,_

_Elle me dit: "Adieu! Je m'en vais chez les morts._
_Comme tu t'es vante d'avoir foutu mon corps,_
_Tu pourras te vanter d'avoir foutu mon ame."_

Parnasse satyrique.

Je crois que ce sonnet est de Maynard.

Malassis pretend qu'il est de Racan.







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