[Note: In the original book, the Table was located at the end of the text, but for this online version I have placed it at the beginning.] Petits Poèmes d'Automne Stuart Merrill PARIS LÉON VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19 1895 Tous droits réservés À ADOLPHE RETTÉ TABLE AMOUR D'AUTOMNE I. L'enchanteresse de Thulé  3 II. Des rossignols chantant à des lys  5 III. Mon front pâle est sur tes genoux  7 IV. Je crois, folle, que tout l'automne  9 V. Au temps de la mort des marjolaines  13 VI. Viens, très douce, rêver aux heures  17 VII. Tu vins vers moi par les vallées 21 VIII. Ce fut en un soir où les chansons 23 IX. Une nuit, sous la terrible lune 27 X. O narcisses et chrysanthèmes 29 XI. Nous avons quitté ce soir la grand'ville 33 XII. Je ne sais plus par quelle contrée 35 XIII. La nuit, dans un pays de fleurs 39 INTERLUDE DE CHANSONS I. Mon âme en une rose 43 II. Des fleurs du soir plein tes mains  45 III. O paix de ce pays d'ici 47 IV. Des lauriers, des lilas et des lys 51 V. O ma Dame des pavots  53 VI. Elise, Liliane  55 VII. Passantes, faites le signe 57 ÂME D’AUTOMNE  I. Au bord de la lointain grève  61 II. Au son des tambours et des cymbales  63 III. Je suis né dans une ville d'or 65 IV. Mon Royaume est plein des cavalcades  67 V. L'étendard que mon bras de rebelle  70 VI. Je suis ce roi des anciens temps 73 VII. Je suis mort au bord de la grève 77 VIII. Roses trop rouges de mon désir 81 IX. La porte de la triste maison 83 X. Le lierre noir et la rose églantine  85 XI. Mon âme tant malade s'endort 89 XII. Les sept fontaines sont taries 93 XIII. Rouge en la cathèdre royale  95 AMOUR D'AUTOMNE I L’enchanteresse de Thulé A ravi mon âme en son île Où meurt, tel un souffle exhalé, Le regret de l’heure inutile. Je crois qu'on pleure autour de moi, Prince dont la magique épée Par la main des femmes sans foi Se brisa, vierge d’épopée. C’est la fuite des étendards Le long de la mauvaise route Aux cris des barbares hagards Traquant mon armée en déroute. Qu’importe?--Alors qu'au seuil des cieux Je pourrais conquérir la Lance, Posez vos doigts lourds sur mes yeux, O vous, les trois Soeurs du Silence! L’encens des jours s’est exhalé: Pourquoi pleurer l’heure inutile? L’enchanteresse de Thulé A ravi mon âme en son île. II Des rossignols chantant à des lys Sons la lune d’or de l’été, telle, O toi, fut mon âme de jadis. Tu vins cueillir mes lys d’espoir, Belle, Mes lys qui saignèrent dans ta main Quand se leva la lune nouvelle. Amour, sera-ce bientôt demain, Demain matin et ses chants de cloches Et les oiseaux aux croix du chemin? Pauvre, il neige dans les vallons proches. III Mon front pâle est sur tes genoux Que jonchent des débris de roses; O femme d’automne, aimons-nous Avant le glas des temps moroses! Oh! des gestes doux de tes doigts Pour calmer l’ennui qui me hante! Je rêve à mes aïeux les rois, Mais toi, lève les yeux, et chante. Berce-moi des dolents refrains De ces anciennes cantilènes Où, casqués d’or, les souverains Mouraient aux pieds des châtelaines. Et tandis que ta voix d’enfant, Ressuscitant les épopées, Sonnera comme un olifant Dans la danse âpre des épées, Je penserai vouloir mourir Parmi les roses de ta robe, Trop lâche pour reconquérir Le royaume qu’on me dérobe. IV Je crois, folle, que tout l'automne     Dort en tes yeux, et ta voix, Las! se lamente monotone Comme le vent lent dans les bois. Tes cheveux sont couleur des feuilles     Qui vont mourir, et tes mains Semblent flétrir, que tu le veuilles Ou non, les fleurs des lendemains. Aussi t’aimais-je pour le rêve     Lamentable de tes yeux Et ta voix qui fut la voix d’Eve Pleurant les aubes d’anciens cieux; Et surtout pour ta chevelure     Qui fut mou léger linceul, Et tes mains à douce brûlure Lors des baisers de seule à seul. Mais tu ne sus charmer mon âme,     Dont le Sauveur ait merci! Car elle est de souffle et de flamme Et pure de l’impur souci. Me voici, féal à mon glaive,     De nouveau sous le soleil, Et ces nuits d’amour sont le rêve, N’est-ce pas? d’un mauvais sommeil. Je vais vers des pays où tonne     Le combat des demi-dieux... Ah! folle, folle, tout l’automne Ne dormait-il pas en tes yeux? V Au temps de la mort des marjolaines, Alors que bourdonne ton léger Rouet, tu me fais, les soirs, songer A tes aïeules les châtelaines. Tes doigts sont fluets comme les leurs Qui dévidaient les fuseaux fragiles. Que files-tu, soeur, en ces vigiles, Où tu chantes d’heurs et de malheurs? Seraient-ce des linceuls pour tes rêves D’amour, morts en la saison des pleurs D’avoir vu mourir toutes les fleurs Qui parfumèrent les heures brèves? Oh! le geste fatal de les mains Pâles, quand je parle de ces choses, De tes mains qui bénirent les roses En nos jours d’amour sans lendemains! C’est le vent d’automne dans l’allée, Soeur, écoute, et la chute sur l’eau Des feuilles du saule et du bouleau, Et c’est le givre dans la vallée. Dénoue—-il est l'heure—-tes cheveux Plus blonds que le chanvre que tu files; L’ombre où se tendent nos mains débiles Et propice au murmure des voeux. Et viens, pareille à ces châtelaines Dolentes à qui tu fais songer, Dans le silence où meurt ton léger Rouet, ô ma soeur des marjolaines! VI --Viens, très douce, rêver aux heure. Où nous effeuillâmes les lys Au clair de la lune. Tu pleures? --Je fus la fille du roi d'Ys, Mon amant, et je sais à peine Ce que nous nous dîmes, jadis. --N’es-tu pas la petite reine Qui s’en venait, chantant tout bas, Mirer ses yeux en la fontaine? --Si légers devaient choir mes pas Sur le givre des nuits d’automne, Que tu ne les entendis pas. --Hélas! mais sa voix monotone Était la tienne, et ses chers yeux Avaient ton regard qui s’étonne. --Dupe! Par une loi des dieux La cité n’est plus sur la dune, Et je vais vers de nouveaux cieux. --Pourtant je sais que j’aimais une Qui parlait ainsi de malheurs En lançant des lys à la lune. --O toi qui te souviens, ces pleurs Sont le signe en effet de celle Qui survit à la mort des fleurs. --Je savais bien que tu fus elle, Avec ta peur des lendemains, Cet air mortel qui m’ensorcelle, Et tes gestes las de tes mains! VII Tu vins vers moi par les vallées Où s’effeuillaient les azalées, O soeur des heures en allées! Ta toison était de couleur Rousse, et ta bouche de douleur Pareille à la mort d’une fleur. Tes yeux semblaient des cieux d’automne. Où le dernier orage tonne, Mélancolique et monotone. Ta voix chantant la mort d’un roi. Fut toute la femme pour moi, Fol alors en quête de foi. Et ces lèvres d’enfant mauvaise Que seul le sang d’Amour apaise Qu’ont-elles dit qu’il faut qu’on taise? Ah! rien, sinon qu’Amour est mort Sur notre seuil de mal abord Où sourit le masque du Sort. Je me souviens qu’en les vallées Tombaient les fleurs des azalées, Au cours des heures en allées. VIII Ce fut en un soir où les chansons Des amants liés par leurs mains lasses Mouraient, ô Dame pâle qui passes, Au clair de la lune des moissons. Long penchée au bord des lourds calices Des lys, fleurs des reines et des rois, Tu faisais le signe de la croix Comme une qui renonce aux délices. Chevelure éparse au vent léger, Tu paraissais ceinte de lumière Coutre l’ombre de la nuit première Et les feuilles du prochain verger. L’eau tintait tristement dans les vasques Qu’enguirlandaient des danses d’amours Et de satyres faisant des tours Au rire à jamais muet des masques. La puisant dans tes chétives mains, Cette eau par laquelle tu fus sainte, Tu baptisas les fleurs de l’enceinte, Où dormait l’âme des lendemains. Fus-tu le Remords ou la Mémoire, O Passante aux yeux pleins de passé? Maintenant l’eau stagne en le fossé Et les lys sont morts avec la gloire. De ce soir où les lentes chansons Des amants liés par leurs mains lasses Mouraient, ô Dame pâle qui passes, Au clair de la lune des moissons. IX Une nuit, sous ta terrible lune Qui saignait parmi les brumes roses, Tu parlais, ô soeur, de tristes choses Comme une entant prise de rancune. Au loin les appels des mauvais hommes Nous montaient des vergers de la plaine Où les arbres tordus par ta haine Tendaient, fruits du mal amour, leurs pommes. Tu n’entendis pas le bruit des roues Rapportant vers les petits villages La récolte des moissonneurs sages Qui peinent le temps où tu te joues. Tu cueillais les pavots de la route Pour en festonner, plein tes mains molles, Notre maison où l'on voit les folles Mendier, soeurs du deuil et du doute. Comme devant une étrange auberge Tu fis, vocatrice de désastres, Le signe qui flétrit les bons astres Dans le jardin d’azur de la Vierge. Puis effeuillant au seuil de la porte Les fleurs de l’ombre l’une après l’une, Tu chantas quelque chose à la Lune, Quelque chose dont mon âme est morte. X O narcisses et chrysanthèmes Do ce crépuscule d’automne Où nos voit reprenaient les thèmes Tant tristes du vent monotone! Des enfants dansaient sur la route Qui mène vers la lande noire Où hurla jadis la déroute, Sous la lune, des rois sans gloire. Nous chantions des chants des vieux âges En allant tous deux vers la ville, Toi si grave avec tes yeux sages Et moi dont l’âme fut si vile. Le jour tombait au son des cloches Dans l’eau lente de la rivière Qui charriait vers des mers proches La flotte à la noire bannière. Nous fûmes trop fous pour comprendre Les présages du crépuscule: Voici l'ombre où l'on croit entendre Les sanglots d’un dieu qui recule. La flotte a fui vers d’autres astres, Les enfants sont morts sur la route, Et les fleurs, au vent des désastres, Ne sont qu’un souvenir de doute. Sais-tu le chemin de la ville, Toi si grave avec tes yeux sages? Ah! mon âme qui fut trop vile A peur des chansons des vieux âges! XI Nous avons quitté ce soir la grand’ville Où nous marchions seuls, les yeux dans les yeux. Entends-tu là -bas, comme des adieux, Les cloches des morts sonner la vigile? Le soleil n’est plus, ô soeur puérile, Mais n’ayons pas peur de l’ombre en les cieux; Nous saurons trouver, après les aïeux, La bonne maison d’accueil et d’asile, Celle de ta croix où Dieu promet l’or, La myrrhe et l’encens et tout sou trésor Aux pauvres amants frappant à sa porte. Prie un peu pourtant pour le péché d'hier, Et donne la main si faible et si forte: Voici venir l’heure où l'on voit, moins clair. XII Je ne sais plus par quelle contrée D’étoiles et de roses de lune Je t’ai perdue en cette vesprée Où nos voix se turent l'une après l’une. _Au loin, c’est comme un murmure d’ondes Coulant vers une mer inconnue._ Nos yeux suivaient le rêve des mondes, Et notre âme attendait la venue Du Christ ou de la Vierge Marie Dans les roses de lune et les étoiles. _Au loin, le vent, comme un Dieu qui prie, Souffle vers la mer l’essor des voiles._ Nos mains cherchaient l'ancienne caresse Et nos lèvres la vieille parole; Mais nos gestes étaient de détresse, Et nos mots tels un oiseau qui s’envole. _Au loin, comme des oublis, les feuilles Vogueut vers la mer où dort l’automne._ Ses yeux et ses lèvres que tu cueilles, Dieu d’hiver dont le soleil s’étonne, Refleuriront-ils comme les roses Et les étoiles que nous aimâmes? _Au loin, l’air est plein de voix moroses Et la mer chante la mort des âmes._ XIII La nuit, dans un pays de fleurs Tristes comme tes yeux, ô Bonne, J’ai tressé pour toi la couronne     Mystique des sept douleurs. Ci l’amarante et l’anémone, Le souci, la rose et l’iris, Avec l’asphodèle et le lis     Des urnes d’or de l’automne. Mon âme, qui se sent mourir, Comme la lune, en leurs corolles, Ne sait plus le sens des paroles     Dont tu voulus l’attendrir. Aux eaux oublieuses du fleuve Qui coule vers la mer sans nom, Il faudra, le voudrais-je ou non,     Qu’un soir d’effroi je m’abreuve. Voici ces fleurs des anciens cieux: J’en vais cueillir d’autres, ô Bonne, Dans des pays d’ombre où l'automne     Est triste comme tes yeux. INTERLUDE DE CHANSONS I Mon âme, en une rose, Est morte de douleur: C’est l'histoire morose Du rêve et de la fleur. Je n’irai pas la dire Sur les routes du roi; Je crois, Dame et Messire, Que vous ririez de moi. Voici le vent d’automne Sur mon âme et les fleurs; Et pourtant je m’étonne De tout ce ciel en pleurs. O rose de mon rêve, Fleuriras-tu jamais? Naîtras-tu de sa sève, Amour, aux futurs Mais?... II Des fleurs du soir plein tes mains,     Tous les cieux dans tes yeux, Et l’espoir des lendemains     Dans les yeux et les cieux, Tu vins par la plaine jaune     En ce froid mois d’automne, O la donneuse d’aumône     Dont le pauvre s'étonne. Chantons de vieilles chansons     Pour l’amour du passé, Et tels des enfants lançons     Tes fleurs au jour lassé. On dit que sur la montagne     Tombe déjà la neige, Mais qu’importe à qui regagne     L’âtre où le feu s’abrège? Ce sera bientôt pour nous     Baisers et bon sommeil, Mienne, et dans nos bras jaloux     L’oubli du vieux soleil. III O paix de ce pays d’ici     Où jadis nous nous aimâmes     Par nos corps et par nos âmes, O paix de ce pays d’ici! Le crépuscule dans les arbres     Dont tous les oiseaux sont fous     De s’être aimés comme nous, Le crépuscule dans les arbres! Et ce fleuve sous la forêt     Où, soeur folle des automnes,     Tu cueillais les anémones, Et ce fleuve sous la forêt! Sais-tu ce que nous dit le fleuve     Qui pleurait dans les roseaux     --Soupirs des vents et des eaux-- Sais-tu, ce que nous dit le fleuve? Il nous dit: Craignez la forêt     Dont au carrefour des doutes     On ne connaît plus les routes. Il nous dit: «Craignez la forêt!» Mais nous n’avons pas peur des arbres     Lourds du tumulte des vols     Et des chants des rossignols; Mais nous n’avons pas peur des arbres. O paix de ce pays d’ici,     La voix des eaux est mensonge,     Et tu ne peux être un songe, O paix de ce pays d’ici. IV Des lauriers, des lilas et des lys     Pour ma soeur des oiseaux, Qui pleure les jours de jadis     Au bord des eaux! Le fleuve se hâle sous le vent,     Vite, comme un oubli, Vers la mer de la mort, avant     L’effort faibli. O soeur! ô soeur! où sont les oiseaux     Pépiant à tes doigts Lorsque tu soufflais aux roseaux     L’âme des bois? Ce vent venu du pays des fous     Rebrousse au loin leurs vols; Ma soeur, va prier à genoux     Les rossignols! Oublie un peu que tout a été     Tel un rêve en sommeil: Les fleurs et les oiseaux d’été     Et le soleil. Des nénufars blancs et des iris     Pour ma soeur des oiseaux, Et pleurons les jours de jadis     Au bord des eaux! V     O ma dame des pavots Si pâle en ta robe d’automne, Pourquoi pleurer les renouveaux Morts en ce fleuve monotone? Tes rêves, au gré lent des eaux,     Voguent vers des mers moroses Par où volèrent les oiseaux Au pays des fleurs toujours roses. Le chemin connu de nos pas Se perd sous la nouvelle lune;     Ma Dame, ne sais-tu pas Quel désir d’oubli m’importune? Soyons les amants du sommeil Au vent qui souffle sur les feuilles; Oublions le nom du soleil     Sous les pavots que tu cueilles. VI Elise, Liliane, Gertrude, Viviane     Et soeur Isabelle Chacune sous la lune Chantant rune après l’une,     Si belle! si belle! Des iris et des lis     Sous les volubilis Du jardin des pleurs! Vos parfums firent peur A mon si faible coeur,     O les fleurs! les fleurs! Folie, ouvre les portes De ce jardin de mortes     A la saison qui sonne! C’est les cloches, les cloches Chantant aux vallons proches     L’automne! l’automne! Elise, les iris, Liliane, les lis,     O femmes! ô fleurs! Quel fut donc mon chagrin Dans cet ancien jardin Des pleurs--de mes pleurs? VII O Passantes, faites le signe Du pardon et de l’infortune Sur l’âme qui meurt comme un cygne Blessé par l’archer de la lune. Un chien noir aboie à la lune Au fond de la forêt du cygne Où tes sept soeurs de l’infortune Cueillent des fleurs, et font un signe. Quel fut donc le sens de ce signe Qui flétrit de son infortune Les fleurs chastes comme le cygne Dont l’essor saigne sous la lune? O les Passantes de la lune. Lancez un anneau d’or au cygne Et partez, soeurs de l'infortune, Vers les amants qui vous font signe. ÂME D’AUTOMNE I Au bord de la lointaine grève Où nous conduisit la Chimère, Puisez dans la coupe du rêve, O mes frères, cette onde amère. En l'azur du soir les sirènes Nous chanteront, surnaturelles, L’histoire des rois et des reines Qui moururent d’amour pour elles. Oubliez le casque et l’épée Dont la cime et la lame en flamme Tonnèrent dans maintes épopée. Vainement, pour l’Or et la Femme. C‘est ici le pays du rêve; Abreuvez-vous de ronde amère, O frères, au bord de la grève Où nous conduisit la Chimère. II Au son des tambours et des cymbales, Ils s'en venaient par les routes roses, Chantant et lançant en l’air des balles Qu’ils rattrapaient, experts à ces choses, Dans des coupes. Ils allaient aux fêtes Où l’on couronne les fous de roses. Et par la bride ils menaient des bêtes Aux housses de pourpre, avec des plumes Enormes qui tremblaient sur leurs tètes. Puis dans l’azur matinal des brumes Filèrent des chars d'or où les belles Sonnaient les grelots de leurs costumes. Dans la venelle, des ribambelles D'enfants dansaient devant la parade. A leurs poings tremblaient des colombelles. Or quand eut passé la mascarade, Je rêvai d’aller mimer l’amour Comme eux, sur les tréteaux et l’estrade. Et depuis les chansons de ce jour Mon âme éprise de toutes feintes Guette au bord des chemins le retour De baladins et des femmes peintes. III Je suis né tians une ville d’or Dont au crépuscule tours et dômes Reflètent leur irréel décor Dans des mers qui baignent de royaumes. Il y passe, sous de étendards, Des rois fous d’avoir suivi la lune Jusqu’à la pâle île des brouillards. Et du port l'on voit, l'une après l’une, Fuir, ouvrant la voile au vent lointain, Des galères d’or aux hautes poupes Où des reines lourdes de butin Boivent le sang du soir dans des coupes. La ville est maudite de Celui Dont le temple est désert sur la place Depuis que ses prêtres blancs ont fui Sous les pierres de la populace. Et des monts où les gardiens des tours Hérissent leurs armes vers les astres. Un soudain tonnerre de tambours Tombe, tremblant aux futurs désastres Qui feront hurler d’horreur les rois Blottis comme des gueux sous les porches. Et siffler le feu jusqu'aux beffrois Sonnant l’heure des porteurs de torches. IV Mon royaume est plein de cavalcades Caracolant vers des plaines d’or Aux fanfares magiques d’un cor Qui décèlera les embuscades. Vers l'Occident surgissent, vermeils, Les pinacles de la Cité sainte, Où dix mille étendards, sur l’enceinte, S’empourprèrent du sang des soleils. Tôt tonneront, avec les cymbales, Les tympanons des Barbares noirs, Signal de la bataille des soirs Qui cabrera les pâles cavales. Les haches heurteront de l’estoc, Les casques incrustés d’escarboucles, D’où s’écrouleront, rouges, les boucles Des Païens rebroussés sous le choc. Et leur Prince, sonnant les alarmes, S’échouera dans les flaques de sang Aux foudres du cor retentissant Par-dessus le vacarme des armes. Je tordrai dans mon poing les cheveux Des folles qui pleurent sous les tentes La déroute des hordes chantantes Dont elles assouvissaient les voeux. Que l’on danse d’amour devant l’Arche Qui nous mène, au rire des clairons, Vers la rive où, doux, nous puiserons L’oubli de la lutte et de la marche! Je vous livre tout l’or du Trésor, O vous de la croisade des rêves, Et les gemmes frivoles des grèves D’où la tarasque prend son essor. Car seul dans le temple du Silence Où mourra la voix de vos adieux, Je veux ravir, comparable aux dieux, La Coupe, la Couronne et la Lance. V L’étendard que mon bras de rebelle Déroula sur les terres du rêve Tremble aux tours du palais de la Belle Pour que son peuple en rie. Et le glaive Que trempa dans le sang des chimères Quelque héros aïeul de ma race, S’est brisé dans mes mains éphémères Contre l’Ange à la ronge cuirasse. Prince de si triste renommée, Me voici, revenu des désastres, Sur la route où jadis mon armée Chevauchait en chantant vers les astres. Nul, hélas! n’enguirlande de roses Cette lance où miroite la lune. Ah! les jours de retour sont moroses Aux maudits de la mâle fortune! La douce diseuse d’aventure Qui pleura sur le seuil de sa porte Quand je lus dans l’occulte écriture, Je sais par les signes qu’elle est morte. Et mon âme qui d’amour tressaille Revole vers la terre du rêve, Où vaincu dans l’ultime bataille Je perdis l’Etendard et te Glaive. VI Je suis ce roi des anciens temps Dont la cité dort sous la mer Aux chocs sourds des cloches de fer Qui sonnèrent trop de printemps. Je crois savoir des noms de reines Défuntes depuis tant d’années, O mon âme! et des fleurs fanées Semblent tomber des nuits sereines. Les vaisseaux lourds de mon trésor Ont tous sombré je ne sais où, Et désormais je suis le fou Qui cherche sur les flots son or. Pourquoi vouloir la vieille gloire Sous les noirs étendards des villes Où tant de barbares serviles Hurlaient aux astres ma victoire? Avec la lune sur mes yeux Calmes, et l'épée à la main, J’attends luire le lendemain Qui tracera mon signe aux cieux. Pourtant l’espoir de la conquête Me gonfle le coeur de ses rages: Ai-je entendu, vainqueur des âges, Des trompettes dans la tempête? Ou sont-ce les cloches de fer Qui sonnèrent trop de printemps? Je suis ce roi des anciens temps Dont la cité dort sous la mer. VII Je suis mort au bord de la grève     D’un pays dont je fus roi Las moi! qu’ai-je trompé le rêve     Des blancs guerriers le la foi? Leurs trompettes d’or dans l’automne     Tonnent, et leurs cris de deuil Vibrent dans le vent monotone     Qui souffle sur mon cercueil. Dans ma main se rouille l’épée     Qui flamba sur maints combats Quand les chantres de l’épopée     Suivaient l’éclair de mes pas. Tout est fini. La Renommée     Ne sacrera plus ce front Des fraîches palmes d’Idumée     Qui sauvent de tout affront. Et les vierges qui par les routes     Semaient sous mon char des lys, Je crois qu’elles vont s’enfuir toutes,     Riant des jours de jadis. Pourquoi pleurer les infidèles     En mon éternel sommeil? Je sais que quand les hirondelles     Voleront vers le soleil, Ta viendras, ô Reine du rêve,    De l’hiver des mers du Nord, Ravir mon âme vers la grève     Où tout souvenir s'endort. VIII Roses trop rouges de mon désir, Je vous effeuille au bord de cette onde Où venait se mirer le Plaisir Sous son masque usé comme le monde. Du bleu des monts où naît le matin Cent bateaux dont la poupe se bombe Se laissent voguer, lourds de butin, Vers la mer où le soleil succombe. Mon âme amante des nénufars Voit passer devant elle la flotte Brave de clairons et d’étendards Sans ouïr l’appel du roi-pilote. C’est demain le réveil en la mer Pour ceux-là qui descendent le fleuve. --Ecoute les cloches de l’hiver, Qui sonnent pour les autres l'épreuve. Et prie à genoux parmi les fleurs Roses trop rouges que tu tortures, Nénufars où pleurent tes douleurs. Pour tous les fous de ces aventures. La nuit douce à tes souvenirs las Pose ses pas d’oubli sur la grève. Dors au pays des fleurs et des glas Et rêve que la vie est un rêve. IX La porte de la triste maison Où s’abrita le rêve des ans S’est close aux neiges de la saison Dont frissonnent les nouveaux enfants. La route ne connaît plus les rois Qui passaient dans des bruits de tambours, Ni les prêtres droits sous leurs orfrois, Ni les bouffons et les troubadours. Vainement les pauvres impotents, Leurs pieds sur le seuil, chantent en choeur D’importunes chansons du vieux temps Sous le houx qui saigne comme un coeur. Celle et celui qui leur donnaient l’or Sont morts d’avoir eu peur de l’hiver Dans la maison où l’horloge encor Marque, sans le savoir, l'heure d’hier. Le jardin se perd vers les confins De la forêt interdite au jour Qui hérisse en menace ses pins Autour des trois croix du carrefour. Et contre le crépuscule roux L’on voit fuir sous les corbeaux du sort, Comme une horde noire de loups, Les vengeurs qui hurlent à la mort. X Le lierre noir et la rose églantine     Défendent les porte du jardin     Où le soir d’un printemps qui s’obstine     Est tout d’azur et d’incarnadin. Dehors s’éplorent les folles fontaines     Qui virent mi-mort d'amour l'Enfant    Venu par les routes incertaines     Vers ce seuil du rêve triomphant, N’ayant connu ni la magique épée     Que ne rouille pas le sang des fleurs,     Ni la parole de l’épopée     Par laquelle s’enfuit l’heure en pleurs, Il s’agenouilla, très las, dans la poudre     De la route ouvert à tous les pas     Où les chars font le bruit de la foudre     Et leurs sonnailles celui d'un glas. Quelles flûtes se dirent, dans les roses,     La victoire du soir sur celui     Qui crut servir l’esprit et les choses     Du lendemain et de l’aujourd'hui? O pâle Enfant désireux des corolles,     Close longtemps est la porte d’or     Que seules descellent les paroles     De ceux qu veulent le vrai trésor. Laisse-toi donc dormir hors de l’enceinte     Où chante te dernier rossignol;     Sache croire que l’attente est sainte,     Et donne à tes seuls rêves leur vol. Et peut-être enfin les portes de flamme     S'ouvriront-elles à ton appel     Sous l’aube où les fleurs, ayant une âme,     En feront sauter le triple scel. XI Mon âme tant mal de s’endort, Soeur, au son de ta chanson nocturne:     _Un lys noir a fleuri dans l’urne,     Le roi de ce pays est mort._ De lointains luths scandent tes paroles Que je ne comprends plus, ô ma soeur.     _Semez, mes mains, avec douceur     Des étoiles et des corolles._ Oh! du silence pour écouter Ce que soufflent les anges funèbres:     _Drapeaux du roi dans les ténèbres,     L’heure des fous vient de tinter._ Des vols d’aigles tonnent sur ma tète Dont s’ensanglantèrent les regards:     _O mort, ouvre es yeux hagards,     Dans la tempête, à la conquête._ Mes rêves noirs ont pris leur essor Vers une ville à la tour penchée:     _Voici passer la chevauchée     Des princes sous la lune d’or._ Oh! des baisers, ma soeur, sur mes lèvres, Et tes mains sur mes yeux, ou je meurs:     _Tôt hurleront toutes les peurs     Dans le rouge palais des fièvres._ Plus de lune! mon âme s’endort, Tant folle, à cette heure taciturne:     _Un lys noir a fleuri dans l'urne,     Le roi de ce pays est mort._ XII Les sept fontaines sont taries Qui jaillissaient dans la grand'place De la ville où la populace     Accourait rire aux féeries. Sur le palais dont les cent porches Ne s’ouvriront plus à l’attente, Tombe la nuit épouvantante,     Lourdement, sans bruit ni torches. La danse est dansée aux terrasses Où ne vibreront plus de cordes: Le Conquérant, avec ses hordes,     A passé, fuyant ses traces. Seule parmi les fleurs fanées, Celle qui survit la vie File en chantant à voix ravie    Le lin rouge des années. Là -bas la route des désastres Monte vers la montagne sombre Où la Fileuse entend, dans l’ombre,    Tonner la chute des astres. XIII Rouge en la cathèdre royale Parmi les trompettes de fer, Elle impose en reine d’enfer Ses lois à la gent déloyale. D'un bandeau de pourpre à clous d’or S’écroule l’azur de ses boucles Jusqu’à ses doigts lourds d’escarboucles Qui serrent la clef du trésor. Sur sa simarre à larges barres Rayonne au soleil des orfrois Le féroce blason des rois Qui massacrèrent les barbares. --- Dans la salle des étendards C’est soir d’affolante épouvante; Sur les routes il pleut et vente, Au gibet dansent les pendards. Une trompette sonne et tonne Au haut de la tour du manoir, Et l'on entend au fond du noir Les pas du bourreau qui l'étonne. Ce qu’oyant, le fou de la cour, Dont tinte en tremblant la marotte, Chante de sa voix qui chevrote Un ancien virelai d’amour. --- Sur la couche à lourdes courtines Que froisse son singe badin, La Reine étrangle un baladin De ses étreintes serpentines. Dans l’ombre des couloirs couverts D’où jaillit un éclair de bagues Sifflent, hors des fourreaux, les dagues Des pages pervers aux yeux verts. Et les flambeaux chus des pilastres Ont mis feu, sous le veut des pas, Aux plis frissonnants des lampas Fleuris d'or comme les vieux astres. --- C’est la révolte et les bûchers En la nuit de la décadence Où le peuple aux yeux jaunes danse Autour du tocsin des clochers. Et du haut d’une hallebarde Où s’enroule un obscène écrit, La tète de la Reine rit Aux crachats sanglants de sa garde; Rit! car en le secret trésor Qu'ont à jamais sacré les flammes, Sous la cendre des oriflammes Resplendit sa couronne d'or! --- Provided by LoyalBooks.com ---